Fuir de zone occupée pour être arrêté en zone « libre »: le destin de la famille WAJNFELD

Le tournant de l'été 1942
Les Wajnfeld, une famille décimée

Fuir en zone libre: le destin d’une famille juive franco-polonaise,

les WAJNFELD

Noyée dans des milliers de documents, j’ai aujourd’hui pris le temps de lire quelques parcours d’anonymes et c’est le parcours de cet homme qui a attiré mon attention et que je ne peux garder pour moi seule….Afin que lui et les siens ne tombent pas dans les abysses de l’oubli, voici quelques lignes en leur mémoire.

Le 14/08/1942, le dénommé Ménatsé WAJNFELD, Juif polonais de 40 ans est arrêté juste après avoir franchi la ligne de démarcation au Poste de Chasseneuil (Charente, zone « libre ») par deux inspecteurs de police français.

Pour sauver sa vie, après l’arrestation de sa femme et de ses enfants (vraisemblablement arrêtés au moment de la rafle du Vel d’Hiv’), il vient « d’enfreindre les décrets du 2 mai 1938 et du 25/10/1940 » et s’apprêtait à embarquer clandestinement dans un train en gare de Javerlhac pour rejoindre Lyon.

Voici ce que le PV d’arrestation nous permet de connaitre de son parcours tragique:

« Je me nomme WAJNFELD Ménatsé, je suis né le 07/12/1902 à Varsovie […], commerçant en maroquinerie, demeurant à Paris, 10 rue Bisson [XX°ar.].

Je suis de nationalité polonaise et de confession israélite et j’ai été recensé comme tel en 1940 à Paris. […]

Je suis marié et j’ai deux enfants de nationalité française; tous deux sont au camp de Pithiviers avec leur mère.

Je réside en France depuis 1923, j’y suis venu pour travailler. J’ai un oncle naturalisé français.

J’ai été recensé par l’Armée polonaise en France[…], incorporé au régiment étranger à Parthenay pendant 7 semaines, puis j’ai été réformé.

J’ai un cousin prisonnier de guerre.

J’ai quitté la zone occupée pour me soustraire aux mesures prises contre les israélites et j’avais l’intention de me rendre à Lyon, 115, cours Tolstoï.

J’ai sur moi la somme de 20 000 francs et je puis disposer de 150 000 francs.

Je n’ai pas fait viser ma carte d’identité avant mon départ de Paris et je n’ai pas de laissez-passer. »

Précédemment libéré de Beaune la Rolande « pour maladie incompatible avec un internement », il est ensuite envoyé dans un GTE à Brigueil (Charente) en attente de statuer sur son sort.

Il est à craindre que ce soit lui qui fut ensuite déporté par le convoi 55 le 23/06/1943 après avoir été arrêté à Lyon au 174 rue Cuvier sous le prénom Ménasse.

On ne sait donc s’il s’est échappé après cette première arrestation, s’il fut libéré, mais il était parvenu à rejoindre Lyon…avant d’être à nouveau arrêté puis déporté « sans retour ».

Si l’on prospecte un peu plus, on réalise que sa femme, Sara (née BORCZUK, 37/03/1904, Varsovie) fut en effet internée à Beaune-la-Rolande avec ses deux enfants, certainement après la rafle du Vel d’Hiv’ et qu’elle fut arrachée à ces derniers et déportée la première, par le convoi 14 en date du 03/08/1942.

Puisque l’horreur ne s’arrête pas là, Joseph*, l’ainé de 14 ans partira quant à lui par le convoi 16 sans son frère cadet, le petit Jacques (8 ans) à son tour déporté seul vers Auschwitz par le convoi 33 le 16/09/1942.


Aucun d’entre eux n’en revint.

F.Dupuy, le 29/12/2021

Sources :

  • ADHV: PV d’arrestation de WAJNFELD Ménatzé
  • Prolongement*: au sein du travail de l’AMEJD , « Sur les traces des enfants juifs déportés du 11 e arrondissement de Paris« , un garçon du nom de Joseph Wajnfeld est mentionné  parmi les enfants arrêtés au sein de l’école du 77, boulevard de Belleville . Or, cette école était à moins d’un kilomètre du domicile de la famille. Il serait donc intéressant de vérifier s’il s’agit bien du même Joseph WAJNFELD.

refugiesjuifs87

Chercheuse indépendante et enseignante, je consacre mon temps libre à éclairer l'histoire des réfugiés juifs en Haute-Vienne durant la Seconde Guerre mondiale, au temps de la Shoah grâce à mes recherches dans différents lieux d'archive . Mon travail porte d'abord sur les réfugiés juifs étrangers arrêtés et déportés après un passage au camp de Nexon lors de la rafle du 26 aout 1942.

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