Hermann MESSING
Hermann MESSING ,
45 ans,
Polonais,
Arrêté à: commune d’Eymoutiers, convoi 27
Hermann est né le 27/09/1896 à Pysznica . A l’époque de son enfance et jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale , il s’agissait d’une ville de l’ancien empire austro-hongrois. Après les traités de paix de 1919, elle fut intégrée à la Pologne.
La vie des Messing avant l’avènement du nazisme
Hermann était le fils de feu Khaim, Chaim ou encore Susche (né à Pysznica en 1864) et de Rakhel, Laja, Schiff Schewa encore nommée « Sharlota » (née FRAULICK), selon la fiche de témoignage de Selmar. Cette dernière était née en 1865 à Lezajsk en Pologne (une ville à 90% composée de Juifs entre 1918 et 1939) mais vivait également à Nordhausen (en Thuringe) non loin de son fils durant le conflit, dans une rue baptisée à l’époque Adolf Hitler-Strasse 4.
On sait d’après les sources belges qu’Hermann avait quitté sa ville autrichienne natale pour l’Allemagne en 1912 (Steinstrasse 35).
Le 11/11/1921, il épouse Fanny (née GRÜNFELD) en Allemagne*.
Avec elle, il a deux enfants, Selmar (né 11/01/1923), puis Gerda (née le 04/06/1926).
On sait aussi que la ville de Nordhausen comptait environ 400 personnes juives au moment de l’accession au pouvoir d’Hitler, chiffre qui diminua ensuite du fait des émigrations contraintes.
Avant-guerre, la famille Messing vivait donc à Nordhausen (Neustadtstrasse 11 mais le numéro 38 est également cité dans certaines sources allemandes) dans le land de Thuringe.
Hermann y était commerçant et propriétaire d’un magasin de textile.
Suivant une source allemande, son entreprise était spécialisée dans la vente par correspondance de linge de maison. Cela reste donc à confirmer avec d’autres documents de première main.
Son nom figure dans l’annuaire allemand en 1930, 1934 mais disparait à partir de 1937. En tant que juif polonais d’origine, c’est en effet à ce moment que le régime nazi l’expulse (décret d’expulsion du 14/10/1937).
L’expulsion par les Nazis, octobre 1937
Fin octobre 1937, il est donc contraint de partir et rejoint la Belgique (visiblement depuis Berlin, Kurstrasse 22), mais sa femme et ses enfants restent quant à eux à Nordhausen pour s’occuper du magasin et rester avec la grand-mère [la mère d’Hermann certainement mais cela reste à vérifier]. Il est aussitôt enregistré par le bureau des étrangers à Bruxelles en date du 26/10/1937.
Là, il vivra de longs mois sans ses proches entre 1937 et fin 1938 et sera contraint de déménager à de nombreuses reprises puisqu’il est également considéré en Belgique comme un étranger suspect et indésirable.
On rencontre en effet plusieurs adresses dans les sources belges sachant qu’il sera contraint de déménager très souvent entre Bruxelles et Anderlecht.
- à son arrivée en Belgique, il réside donc d’abord à Bruxelles, rue des Sables 1
- toujours à Bruxelles est aussi mentionné l’adresse suivante : rue Van Helmonstr. 9
- arrivé à Anderlecht (rue Bara 5) dans l’arrondissement de Bruxelles le 11/02/1938, il est alors arrêté et incarcéré dans le prison de Forest durant deux jours. Ce lieu fut à l’époque transformé en camp d’internement pour les juifs étrangers réfugiés en Belgique situé à Merxplas.
Après enquête, le gouvernement belge préconise d’abord alors l’ expulsion d’Hermann en Pologne, pays qu’il a quitté 25 ans auparavant et où il n’a plus de famille. Or, depuis 1938, la Pologne lui a retiré sa nationalité polonaise et il est ainsi devenu apatride et sans aucune protection**. Cette solution est donc écartée. Mais le visa d’Hermann est périmé depuis le 01/11/1937 et le ministère de la Justice belge lui ordonne tout de même de quitter le pays.
A sa libération le 12/02/1938, Hermann semble être retourné à Bruxelles, rue des Sables 1 en ne cessant jamais ses démarches administratives auprès du Consulat pour émigrer aux USA, la famille Messing étant sur liste d’attente et en instance d’émigration, Hermann doit en permanence déployer des trésors d’énergie pour ne pas être expulsé de Belgique, pour demander des sursis, entre deux déménagements, sachant qu’en novembre 1938, les nouvelles qui lui parviennent d’Allemagne ne peuvent que l’inquiéter davantage.
En effet, le 12/11/1938, juste après la « Nuit de Cristal » (qui fut particulièrement violente à Nordhausen et où même les femmes furent arrêtées) , Hermann reçoit une carte postale de son fils Selmar qui résonne comme un cri de détresse.
Le magasin familial d’Hermann a été pillé et Max Grünfeld, le frère de Fanny a été arrêté et interné le 10/11/1938 à Buchenwald. Selmar supplie alors son père de tout faire dans un délai de moins de deux semaines pour permettre l’émigration de l’oncle Max et de leur grand-mère pour qui les démarches administratives d’émigration semblent avoir été bloquées .
On comprend alors que si Fanny leur mère, Gerda et Selmar sont restés en Allemagne et n’ont pas suivi Hermann, c’est donc pour ne pas abandonner leur grand-mère et leur oncle.
Dans les jours qui suivent (le 17/11/1938 notamment), Hermann a beau continuer à envoyer des missives aux autorités belges pour que l’émigration de sa famille aux USA puisse avoir lieu, les démarches s’enlisent…
Les États-Unis ayant mis en place un système de quotas d’immigration par nationalité (et le nombre de Juifs polonais ayant émigré étant déjà atteint…il leur faut donc attendre encore trois mois de plus….une éternité dans ces conditions) .
Par la suite, on sait que les enfants (Selmar et Gerda) parviendront à rejoindre leur père en Belgique fin 1938.
Les documents attestent du fait que Gerda est arrivée le 13/12/1938 par Kindertransport, le gouvernement belge ayant en effet autorisé l’accueil de 250 enfants juifs d’Allemagne vers la Belgique.
Cela dit, la venue de Fanny, leur mère n’est dans un premier temps pas autorisée. Les enfants écriront par ailleurs une supplique déchirante au roi de Belgique en date du 31/05/1939 pour le supplier d’autoriser leur mère à les rejoindre. A cette date, Hermann et ses enfants vivent à Schaerbeek, rue Quinaux 44.
Finalement, le 23/08/1939, Fanny parvient à émigrer et rejoindre les siens en Belgique. Malheureusement, l’accalmie sera à nouveau de courte durée pour cette famille traquée.
L’invasion de la Belgique et la fuite en France
Le 12/05/1940, au moment de l’offensive allemande et de l’invasion de la Belgique, la famille doit à nouveau fuir (à moins qu’elle ne soit à nouveau expulsé par le gouvernement belge), cette fois en France.
Elle s’installe d’abord à Lille à partir du 16/05/1940 avant de s’établir en Haute-Vienne en avril 1941 dans la commune de St-Germain-les Belles (alors située en zone libre) après avoir franchi clandestinement la ligne de démarcation au niveau d’Angoulême en mars.
Est fait également mention dans le témoignage ultérieur de Selmar d’un passage probable à Clermont-Ferrand à moins que cette ville n’ait été traversée par Selmar dans sa fugue après la rafle.
Si l’on connaissait l’adresse des Messing en 1941 (la commune de Saint-Germain-les -Belles), c’est le témoignage et les clichés précieux et récents confiés par Françoise Genilier (hérités de sa mère car celle-ci est née après-guerre) qui permettent d’éclairer aujourd’hui le contexte de vie de la famille à l’époque, quelques mois avant la tragique année 1942.
En effet, le couple Betoule (François et Jeanne-Anne Betoule qui étaient donc les grands-parents de Françoise Genilier) a hébergé les Messing durant près d’un an, dans leur grande maison familiale, maison qui aurait également hébergé une autre famille juive à l’époque. Les deux familles vivent donc ensemble, tissent des liens et les photos de l’époque apparaissent comme une parenthèse presque heureuse dans un océan de malheurs.
Vivait également avec eux Germaine-Marie Betoule, fille du couple Betoule qui était née en 1923 et avait lié une belle amitié avec les enfants Messing.
D’après les archives locales, on sait que le 18 février 1942, Hermann remplit sa fiche de recensement obligatoire à St-Germain-les-Belles et que celle-ci mentionne que son séjour en France n’est que passager et qu’il cherche toujours à émigrer. Mais à l’époque, l’émigration des familles juives est devenue quasiment impossible, les frontières étant fermées de toutes parts.
Le 8 avril 42 , suivant un ordre préfectoral répondant à plusieurs circulaires émises par le gouvernement de Vichy , parce qu’ils sont étrangers et juifs (et donc jugés « indésirables »), les Messing sont sommés de quitter St-Germain-les-belles avant le 10 avril pour être assignés à résidence dans une autre commune.
La famille s’installe alors à Eymoutiers (entre le mois d’avril et de juillet 1942), à « La Terrade » suivant le Mémorial de la déportation de Serge Klarsfeld et certains documents issus des archives locales.
Cela dit, l’un des documents administratifs mentionnant l’expulsion de la famille indiquait au départ « La Peyrade » qui jouxte Eymoutiers ce qui peut laisser planer un doute sur le dernier lieu de vie de cette famille.
Ce départ fut vécu très douloureusement par la fille de la famille Betoule. C’est ainsi qu’elle transmettra à sa fille Françoise le souvenir de cette famille disparue à jamais.
En mai 1945, à la fin de la guerre, Selmar, seul rescapé de sa famille demandera à pouvoir revenir en France pour régler des factures et récupérer les derniers biens laissés par les siens après le tumulte de la rafle. Il recherchera d’ailleurs encore à savoir s’il existe des traces de ses parents et de sa sœur, en vain.
Cette requête permettra cela dit de préciser le dernier lieu de vie des Messing puisque Selmar mentionne un logement de deux pièces qui appartenait à la propriétaire Mme Garraud (et qu’il nomme « Villa Raimonde » puis plus tard dans sa fiche de témoignage de 1999 sur le site Yad Vashem « Villa Roseville ») à Eymoutiers.
Concernant les derniers jours de vie des Messing en aout 1942, on sait qu’Hermann devait être incorporé dans un GTE (le 644° GTE de Bellac, puis le 643° à Oradour-sur-Glane) entre le 02/08/1942 et le 04/08/1942, mais il fut reconnu « inapte aux travaux agricoles ».
Il était en effet prévu qu’il participe comme de nombreux étrangers réquisitionnés par l’État Français à « la période des grands travaux agricoles » qui débutait au 1er juillet et se terminait le 15 octobre.
Or, sa fiche médicale d’incorporation confirme son mauvaise état de santé (avec entre autre des problèmes cardiaques), ce que montre aussi les dernières photographies retrouvées.
L’arrestation du 26/08/1942 en Haute-Vienne
Sur décision préfectorale du 6 août 1942, il est donc déclaré inapte et autorisé à regagner son domicile…mais ce ne sera qu’un sursis de très court terme…
Moins de trois semaines plus tard, dans la nuit du 25 au 26 août 1942, la famille est arrêtée brusquement, transférée au camp de Nexon puis déportée (sans retour) depuis Drancy par le convoi 27.
Selmar, qui avait alors 19 ans n’était visiblement pas présent au domicile lors de l’arrestation et il parvint ensuite à s’enfuir.
Une enquête des renseignements généraux de 1945 consécutive à une requête de Selmar permet de savoir qu’il émigra ensuite en Israël en passant par l’Espagne en août 1943 après un passage à Vicq-Bigorre, dans les Hautes-Pyrénées chez Mme Lavusse.
Cette enquête confirme aussi qu’au moment de l’arrestation, Hermann était en » mauvais état de santé ». Il ne fut pour autant pas exempté et fut déporté sans retour avec sa femme Fanny et sa fille de 16 ans, Gerda.
L’après -déportation: les camps de travaux forcés: Cosel-Trzebinia-Birkenau-Varsovie (1942-1943/1944?)
Après-guerre, Selmar/Simon a recherché désespérément les traces de sa famille disparue. Il restait visiblement un espoir de retrouver son père en vie quelque part.
Les archives ITS Arolsen nous apprennent via le témoignage de Selmar/Simon (et grâce aux recherches de Sabine Herrle) qu’Hermann aurait été réquisitionné pour le travail comme de nombreux hommes des convoi 26/27 avant l’arrivée à Auschwitz.
Selmar/Simon explique aussi que dans les années 1980, il a rencontré un survivant qui était un co-détenu de son père. D’après le témoignage de cet anonyme , Hermann serait descendu à Cosel, puis aurait été réquisitionné au sein du camp de Trzebinia pour travailler pour l’entreprise « Heinmann et Lippmann », une entreprise de bâtiment et de génie civil basée à Berlin.Après plusieurs mois de travail, une partie des effectifs aurait été transférée à Varsovie pour nettoyer le ghetto après que la révolte ait été écrasée et le ghetto brûlé par les SS (mai 1943). Le groupe restant encore en vie aurait ensuite été transféré à Auschwitz-Birkenau peu de temps après. On ne sait malheureusement pas, faute de trace à quel moment a péri Hermann.
Alexandre Doulut, historien spécialiste des parcours de survivants et de l’Histoire de la Shoah m’a permis d’éclairer et de préciser les derniers mois de vie d’Hermann après sa déportation malgré encore certaines zones d’ombres liées à l’état lacunaire des sources disponibles pour la période.
A l’été 1943 les SS liquident les derniers ghettos et camps de travail pour les Juifs, situés en Silésie.
À cette date, Trzebinia est l’un des principaux camps de la région, il sert aussi de camp de transit.
Fin octobre 1943, le camp ferme et les détenus sont transférés dans un autre camp nommé Schöppinitz.
Les 2 et 3 novembre 1943, les 3000 détenus de Schöppinitz sont transférés à Birkenau. À l’arrivée, environ 2300 sont gazés, les autres reçoivent un numéro. Entre le 159921-160667 pour les hommes et entre le 66589-66639 pour les femmes. Dans l’hypothèse où il ait été gardé en vie, le numéro matricule d’Hermann serait situé entre les numéros 160200 ou 160550. Cela dit, on ne le retrouve pas dans l‘index numérique d’Auschwitz.
Ceci peut aussi l’expliquer par le fait que parmi les 750 provisoirement gardés en vie, le musée d’Auschwitz n’a identifié que très peu d’hommes . Hermann Messing ne fait pas partie de ceux ayant déjà été identifiés. Il n’apparaît pas non plus parmi les 3000 qui ont été transférés du camp de Varsovie à Dachau le 6 août 1943.
Il est sans doute mort dans le camp de Varsovie, à moins qu’il n’ait été tué par les SS durant l’évacuation des prisonniers pour Dachau (plusieurs centaines ont ayant été mitraillés à ce moment).
Il reste donc un mystère sur le lieu précis et la date de la mort d’Hermann.
© Fanny DUPUY
Dernières réactualisations: 23/08/2023
Remerciements:
- Merci à Alexandre Doulut pour sa disponibilité et la précision de ses réponses
- Pour les sources allemandes, je remercie infiniment Sabine Herrle, infatigable chercheuse allemande qui n’a pas compté ses heures pour m’aider à préciser le parcours de la famille Messing.
- Je remercie également tout particulièrement Françoise Genilier, descendante de la famille Betoule pour ses précieux documents d’époque qui permettent de redonner un visage à cette famille.
NB:
*Les archives de Norhausen n’ont aucune trace d’un mariage entre Fanny et Hermann dans la ville de Nordhausen en 1921 ce qui signifierait que le couple s’est marié et a donc vécu avant 1923 dans une autre ville d’Allemagne. Le reste de leurs documents d’ archive ainsi que les archives communales a en outre été délibérément détruit par les Nazis (ordre Néron) avant les bombardements d’avril 1945 et l’arrivée des troupes américaines ce qui empêche de retrouver d’autres traces.
** Un décret polonais retirait en effet leur nationalité polonaise à tous les anciens ressortissants polonais en exil (et notamment les Juifs, afin d’éviter une vague d’immigration retour en Pologne à l’époque). Aussi Hermann devint-il à ce moment apatride, sans protection d’aucun état.
Sources :
- ADHV
- Stevemorse.org (Mémorial de la Déportation des Juifs de France en ligne)
- Archives du Royaume de Belgique, A270-357
- Mémorial de la Shoah
- Bundesarchiv
- Yad Vashem
- USHMM
- Liste des Juifs de Nordhausen, d’après Manfred Schröter : Les destins des Juifs de Nordhausen 1933 à 1945, Nouvelle édition révisée et complétée, 1ère édition Nordhausen: Iffland, 2013. ISBN 978-3-939357-13
- Archives de la ville de Nordhausen
- Un témoignage d’époque sur les violences de la « Nuit de Cristal » à Nordhausen
- En lien avec le camp de travaux forcé de Trzebinia, voir le témoignage de Tobias Schiff
- Crédit photographique: ©ADHV ,©famille Betoule, ©AGR
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